Rita Lasar

 

70 ans

Retraitée

Manhattan

Quand j’avais 14 ans, mon petit frère Jackie est né. J’ai joué avec lui comme une poupée, je m’occupais de lui en revenant de l’école, je l’emmenais en tramway au parc. Je me suis mariée très jeune, mais j’ai toujours été proche de lui, davantage que de mon autre frère Abe qui a deux ans de moins que moi. Jackie a toujours mieux accepté mon non-conformisme, même s’il a toujours été un juif orthodoxe pratiquant.

Le 11 septembre, j’étais dans ma cuisine, et j’ai entendu la nouvelle à la radio. Comme en 1945, lorsque j’avais appris le bombardement de Hiroshima. J’ai couru chez ma voisine, dont les fenêtres donnent sur le WTC, et j’ai vu les tours en feu. C’est seulement à ce moment que j’ai pensé à Jackie, qui travaillait dans la première tour. Nous l’avons supplié au téléphone de partir, mais il a refusé, il ne voulait pas abandonner un collègue qui était paraplégique. Je ne peux pas décrire l’angoisse que nous avons ressentie ce jour-là. Jackie était un homme qui voulait toujours faire mieux, il croyait à la réincarnation, ce qui ne fait pas partie de la théologie juive.

Quelques jours après l’attentat, Bush a glorifié Jackie, dans un discours. J’étais outrée, je ne voulais pas qu’on utilise mon frère pour justifier une guerre, et j’ai commencé à manifester mon pacifisme, en écrivant au New York Times, en participant à des débats télévisés. Mon autre frère a très mal pris mes activités et nous sommes toujours brouillés. En janvier, j’ai reçu un appel d’une femme de Global Exchange, me demandant si je voulais aller en Afghanistan. J’ai demandé, je pourrai fumer ? Elle m’a répondu non, mais elle avait tort !

Avec trois autres personnes qui avaient perdu des proches le 11 septembre, j’ai fait un voyage de réconciliation de deux semaines. Nous avons visité des orphelinats qui étaient dénués de tout, des familles décimées, des femmes sans ressources. Je me remémore une poutre en acier qui sortait d’une mosquée en ruine, elle avait la même forme que celles du WTC, cette symétrie m’a frappée. En rentrant, nous avons fondé Peaceful Tomorrows, une organisation pacifiste. Nous demandons, entre autres, que des compensations soient versées aux victimes civiles des bombardements en Afghanistan. Nous allons voir des politiciens – ils ne peuvent pas refuser de nous voir – mais ils ne lèvent pas le petit doigt pour nous aider.

Lors d’une visite sur le site du WTC, une psychologue m’a offert de suivre une thérapie, je lui ai répondu : ma thérapie, c’est mon activité pacifiste.